Nos chimères nous définissent bien davantage que notre nom
Retoucher la réalité n'est pas un crime - sans quoi nous sommes tous des criminels, nous dont l'esprit vagabonde, dont les nuits se peuplent de songes, dont l'imagination s'épanouit, laissant le fantasme se glisser dans nos pensées. Qui peut distinguer ce qui est vrai, juste, exact, de ce qui ne l'est pas ? Il arrive que la vérité soit tissée d'impostures, que les creux aient l'importance des pleins, que les choses tues comptent autant, sinon plus, que celles qui sont dites.
Nous sommes tous des êtres de fiction, et nos chimères nous définissent bien davantage que le nom, la nationalité, la date et le lieu de naissance figurant sur notre carte d'identité. Nous évoluons dans nos espoirs, nos idées, nos histoires comme les nuages flottent dans le ciel : c'est là l'environnement naturel dans lequel nous baignons. Il m'apparaît parfois plus concret que le lit dans lequel je m'endors, la route que je prends le matin, les jardins dans lesquels je me promène certains dimanches, qui n'ont guère plus d'épaisseur à mes yeux qu'un décor de théâtre ou de studio. N'est-ce pas précisément ce qu'on demande à un artiste, qui doit nous entrouvrir les portes d'un monde où la banalité fleurit en vision, où la laideur se sublime en beauté, où les désillusions de l'existence se dorent au soleil de l'art et se muent en brumes légères comme un fil de soie ? Alors la réalité ne se fausse pas en mensonge : elle s'accomplit dans l'espace, étrange et merveilleux, de la fable. "
La double vie D'Anna Song" de Minh Tran Huy