Obscure lucidité
Je passe, et par la magie de ce simple passage de maraudeur, ma pensée, flottant tout à coup dans l'intensité des choses, possède à nouveau le monde, mais de façon absolument non possessive. Ma pensée confrontée au monde comme à un bloc de non-sens rejoint une étrange beauté qui ne dépendait que d'un coup d'œil, d'un coup de dés.
Où se trouve le « bon côté des choses » ? Je n'en sais rien, mais je sais qu'il existe et que cela suffit. Et je sais qu'une vigilance et une résistance sont possibles.
Je deviens l'anti-vigile, celui qui veille la nuit comme on veille un mourant ou un enfant malade. Le monde est là. Il m'attendait. Le monde est l'attente des choses. La plage à marée basse sous des pavés d'objets morts.
Le monde est là. Encore. « Plein de contrées magnifiques... » Et je peux me laisser aller à une « solitude consciente et organisée ». À une sorte de lucidité obscure.
Et je souhaite demeurer le plus discret possible, légèrement en retrait. Passant. Faisant, chaque jour, sa promenade clandestine...
Pierre Péju La vie courante