Ecouter la vie
Au lever du soleil, une fois mon tour de garde terminé , je retourne sur les lieux de mon enfance. Je ne peux pas les habiter comme dans mon enfance. je ne peux pas les habiter comme autrefois, ni m'y sentir tout à fait chez moi, car je ne suis plus le petit garçon que j'étais. Ce que j'essaie de revisiter quand je parcours ces rues en songeant au passe, c’est ma propre histoire, pas un lieu réel. Je m’aperçois, fantôme assis sur une marche, grimpant aux arbres, buvant sur un banc. Juste avant l’aube, a l’heure ou le monde est le plus froid, je peux m’avouer que c’est la peur de l’avenir qui m’a ramené ici. Parce que l'avenir est un exil, quand on voit l'enfance et la jeunesse filer derrière nous, se perdre dans le bleu et disparaitre. La vie se consume en souvenirs qui n’existent bientôt plus que dans nos têtes, jusqu’à ce qu'eux aussi s'éteignent. Je ne sais pas comment font les autres pour affronter. La force des gens m’impressionne. Aux petites heures du jour, je peux m'avouer que je me suis réfugié ici parce que je me rappelais m’être senti en sécurité dans cette ville, parce que j’étais assez vieux pour comprendre que vivre était périlleux, que c’était un miracle, et parce que j’avais peur. Aujourd'hui, je me rends compte que c'était malsain. Je regardais derrière moi un passé auquel je n'avais plus accès, alors que j’aurais dû chercher le moyen d'avancer, parce que c’est ce que font les gens chaque jour; et c'est humain, c'est héroïque. Je sens que je suis prêt à partir, a me mettre en quête d'une autre vie, à prendre ma vie en main, a commencer pour de bon. Puis je me promène dans Lizzy Gardens, alors que le ciel s'ouvre comme une fleur et que le monde bleuit a la lueur de l’aube; je traverse les rideaux de bruine sous les arbres qui ont retenu la rosée entre leurs bras aimants toute la nuit et la déposent délicatement à l’arrivée du matin. Je me souviens des soirées ou nous prenions des psilos dans le pré, je me souviens de la brûlure de la vodka dans ma gorge sur ces bancs, de baisers si beaux que je n’aurais même pas rêvé de les voler derrière ces haies, de chansons jouées sur des guitares désaccordées qui semblaient électriques lorsqu'elles brisaient la paix de ce lieu. J'entends le chant des oiseaux dont les trilles s'entrelacent dans l’air. Et alors je me dis: pas encore. Je ne partirai pas tout de suite.
Quand je marche, je sens qu'il y a une grâce à tenter de recueillir au creux de ses mains la vie qui coule, a essayer de la retenir un instant avant qu’elle ne disparaisse, chassée par une eau nouvelle, des temps nouveaux. A l’aimer a l’instant où elle passe. Le monde s’achève sans cesse autour nous. Chaque mesure de notre partition appartient déjà au souvenir et à l’imagination au moment on nous la jouons. Autant l’écouter.
Ce qu'on entend quand on ecoute chanter les rivières de Barney Norris
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