Epouvantails
Un épouvantail... des épouvantaux?!
"Une cloche tinte dans le petit matin, cristalline.
Le vent en essaime les notes frêles. Un coq aussitôt lance son cri en écho à ce salut gracieux ; un cri gracieux ; un cri râpeux, sonore, qui déchire la brume ; Le ciel rosit, le coq lève très haut la tête, sa crête écarlate dressée en oriflamme pour annoncer l’imminence du soleil.
Une silhouette émerge au bord d’un champ de navets. Tête inclinée, bras écartés, elle aussi semble célébrer la naissance du jour, mais en silence. Ses vêtements ondulent autour de son corps efflanqué, des guenilles aux couleurs flamboyantes. Est-ce un moine mendiant, un vagabond, un ivrogne s’en revenant de fête et égaré dans la campagne, ou bien est-ce un amant orphelin de son cœur, un poète en quête de vision ? Aucun d’entre eux, et, cependant un peu de chacun : c’est un épouvantail.
Juste un épouvantail planté ainsi qu’un arbrisseau couvert de feuilles mortes qui froufroutent et soupirent. Il porte un chapeau de paille en forme de cône, une simple chemise framboise et un pantalon rapiécé aux jambes émaillées de pourpre, d’orangé, de grenat battent mollement dans la bise.
Un corbeau vient se percher sur son épaule gauche y monologue quelques minutes d’un ton maussade, puis repart d’un vol lourd. Le chapeau de l’épouvantail bascule légèrement, les gouttes de rosées suspendues à son bord se détachent une à une. Le coq lance à nouveau son cri ; la cloche, elle, s’est tue. Le soleil transparait au ras de la mer qui se moire de lueurs rosâtres et se hérisse de rochers."
Sylvie Germain