La mort est quelque chose de vivant. Elle porte le sens de la vie, sa valeur infinie.
C'est cette maturité qui fait envisager le temps sous un autre angle en faisant apercevoir une irréversibilité créatrice derrière l'irréversibilité destructrice. Le langage l'exprime fort bien quand il parle d'avancer en âge pour qualifier le fait de vieillir. On avance quand on vieillit. On ne fait pas que reculer. La vieillesse n'est pas simplement la jeunesse qui recule. Elle est le temps qui avance. Cela permet de percevoir la mort sous un autre angle.
La mort n'est pas simplement ma mort, ni ta mort, ni sa mort. C'est « la mort ». Il y a là un phénomène radical, absolu, qui n'est pas sans signification. Un jour, tout s'arrête. Certains penseurs comme Épicure pensent que ce coup d'arrêt où plus rien ne se passe signifie le rien, et rien que le rien. Ils pensent que la mort est vide du fait qu'il ne se passe rien. Ils oublient que ce rien est un rien absolu et pas simplement un vide banal. La mort n'est pas rien. Elle est une façon qu'a l'absolu de se présenter à nous. Nous sommes reliés à une dimension absolue, bien plus que nous ne le pensons. Et la mort nous le dit. Si la mort n'était rien, rien ne serait quelque chose et il n'y aurait rien. Il y a quelque chose, parce que rien n'est rien. Même le rien. Surtout le rien-
Tout est important et c'est le rien qui nous le montre. La mort est en ce sens le paradoxe des paradoxes. Elle est ce moment crucial de l'existence où l'on vérifie que l'existence est bien « quelque chose » et non rien. Il faut mourir pour s'apercevoir que la vie est quelque chose. Si l'on ne mourait pas, si rien ne mourait, on ne s'en apercevrait pas. D'où le mystère de la mort. Si la vie ne s'appuie pas que sur elle, quelque chose de la vie le fait. La mort est quelque chose de vivant. Elle porte le sens de la vie, sa valeur infinie.
Car la mort ne fait pas rien. Outre qu'elle fonde la valeur infinie de tout ce qui vit, elle fonde aussi la conscience, notre conscience, la conscience du monde. Nous rentrons dans le domaine de la conscience et de l'esprit le jour où nous avons conscience de notre mortalité. Qui a conscience que la vie est précaire, fragile, vulnérable, qui a conscience que la mort peut survenir d'une seconde à l'autre, prend conscience de lui-même en étant obligé de taire attention à lui. Il prend également conscience d'autrui en étant obligé de faire ttention à l'autre. Il prend conscience de la valeur de la vie, chaque instant de la vie étant unique, tout pouvant disparaître d'une seconde à l'autre.
Marie de Hennezel Une vie pour se mettre au monde