L'infime et l'immense
Il se tient debout devant le ciel en radieuse incandescence; il en respire l'éclat, le souffle, l'espace. Il est dedans. Être dedans, "ce n'est pas quelque chose qu'on décide" disait Rothko. C'est quelque qui se décide au profond de soi,une volonté qui s'affirme avec la force de l'évidence, de l'amour, une résolution qui s'impose abruptement pour avoir longtemps muri à l'ombre. Pierre est dans cette crue de lumière qui va bientôt basculer, refluer, il est dans le cours du temps, au cœur du temps. Il se dresse dans l'embrasure d'un tableau prodigieux, en expansion et variations illimitées, dans la splendeur du visible. Il est dans l'éblouissante nudité du désir, au vif de la vie même.
."Que savent les hommes de la nuit? Il n'y pénètrent qu'en intrus..." Et du jour que savent-ils?, de la lumière que savons nous?, se demande Pierre devant cet épanchement de jaune étincelant qui prélude le crépuscule. Une longue trainée blanche, légèrement onduleuse, strié l'immensité safran; elle s'étire dans un bourdonnement sourd.
Sylvie Germain l'Inaperçu