Fraction d'éternité
Alors, l'Ancien Japon s'en mêle. D'un des appartements descend une mélodie, clairement et joyeusement distincte. Quelqu'un joue au piano une pièce classique. Ah, douce heure impromptue déchirant le voile de la mélancolie... En une fraction d'éternité, tout change et se transfigure. Un morceau de musique échappé d'une pièce inconnue, un peu de perfection dans le flux des choses humaines — je penche doucement la tête, je songe au camélia sur la mousse du temple, à une tasse de thé tandis que le vent, au-dehors, caresse les frondaisons, la vie qui s'enfuit se fige en un joyau sans lendemain ni projets, le destin des hommes, sauvé de la pâle succession des jours, s'auréole enfin de lumière et, dépassant le temps, embrase mon cœur quiet.
Muriel Barbery L'élégance du hérisson