Quelque chose plutôt que rien...
"Le temps était gris et quelques grappes de nuages s'accrochaient parfois au flanc de la montagne.
Le silence qui nous entourait était d'une telle texture qu'on l'eût dit distillé, épuré, filtré. Il se confondait avec la transparence cristalline de l'air.Sans aide, avec une surprenante agilité, Marie gravissait la pente. Quand le chemin le permettait, elle se tenait à mes côtés. Lorsque le layon devenait trop étroit, elle montrait la voie.
Qui alors aurait pu deviner son état?
Pour la nature qui nous entourait elle était simplement une femme comme une autre marchant vers le couchant. Du sommet, la vue était vertigineuse.La montagne plongeait à pic vers l'Espagne tandis, que quelques maigres herbages et des boules de nuages s'accrochaient sur le versant français.
Du ventre de la falaise remontait un air glacé qui faisait parfois flotter les cheveux de Marie et donnait à sorn visage une illusion de vie.
Nous étions arrivés au bout de notre longue marche.Je pris ma fille dans mes bras. J'eus le sentiment d'enlacer un arbre mort. Elle regardait droit devant elle. Nous étions au bord du vide, en équilibre au sommet du monde. Je songeais à tous les miens.
En cet instant de doute, au moment ou tant de choses dépendaient de moi, ils ne m'étaient d'aucune aide, d'aucun réconfort. Cela ne m'étonnait pas : la vie n'était rien d'autre que ce filament illusoire qui nous reliait aux autres et nous donnait à croire que, le temps d'une existence que nous pensions essentielle, nous étions simplement quelque chose plutôt que rien."
"Une vie française" Jean-Paul Dubois